Comment j'ai perdu 50 000€ et j'en suis finalement heureuse ? (Partie 3)
Comment une start-up chute.
J'ai longtemps eu peur d'écrire cette série d'e-mails que je suis en train d'écrire actuellement.
D’ailleurs c’est probablement pour ça que j’ai un jour de retard sur ma newsletter hebdo.
Quand je vivais tous ces événements, j'étais noyée par la honte. Surtout les événements que je vais vous raconter aujourd'hui.
À l’époque quelqu'un de mon équipe me disait souvent que ce serait bien que la vérité sorte, pour s'en libérer.
Finalement c'est ce que je me retrouve à faire moi aujourd'hui.
Vous êtes prêts ?
Je vous avais laissé la dernière fois sur ce beau succès qu'était Rêve de Machine en 2016.
Il est temps toutefois que je vous parle du principal problème de Cyrielle, du début de VoxWave jusqu'à quasiment la fin.
Le problème de Cyrielle, c'était… Cyrielle elle-même.
Pour vous qui me lisez, vous avez accès aujourd'hui à la version la plus avancée de moi.
Une personne qui a fait le choix de rester du côté lumineux de la Force par exemple.
Qui a choisi d'assumer pleinement qui elle était, même si ça dérange.
Et qui a lu la moitié des bouquins de développement personnel de la Terre.
Toutes sortes de choix que je n'avais pas faits avant.
Et bien tout ça c'est ce que j'ai fait à compter de 2016.
Mais avant… j'étais juste au début de tout ça.
Mon problème à l'époque était de ne pas assumer qui j'étais.
Il y avait une division trop forte entre la Cyrielle de jour, qui menait sa vie de normalienne puis sa vie d'entrepreneur, et la Cyrielle de nuit, qui voulait autre chose. Des réponses à qui elle était. Et puis aussi, une chance de sortir au grand jour.
Cygne blanc, cygne noir, en quelque sorte.
Quand on se promène la nuit on finit par rencontrer d'autres promeneurs nocturnes.
Et c'est comme ça que j'ai rencontré Louise.
2012 - 2014 : Louise et moi, une amitié avant tout.
Louise à la base on avait un point commun c'est qu'on traînait tard le soir sur des chats en ligne.
Ce genre d'endroits c'est l'équivalent fonctionnel sur Internet d'une ruelle sombre dans un quartier mal famé. Le genre d'endroits où un guet-apens peut vous attendre, aussi bien qu'un dealer ou autre.
J'y allais beaucoup fut une époque car ces lieux de marge sont aussi un espace de liberté. Personne ne va vous juger pour qui vous êtes, et vous allez pouvoir avoir des conversations libres.
Quand vous vous posez des questions sur qui vous êtes, c'est un lieu parfait.
J'y ai fait des rencontres étonnantes au fil des années.
C'est d'ailleurs comme ça que j'ai appris ce que c'était que les transidentités, à une époque où personne n'en parlait.
Peut être aussi car c'est l'un des premiers espaces où je me suis autorisée à être une femme.
D'ailleurs c'est à ce titre que Louise m'a connue, la première fois.
Et quand bien même on est rapidement devenu ami, le fait qu'elle ait connaissance de cette Cyrielle de nuit, c'était quelque chose qui lui donnait du pouvoir sur moi.
Car évidemment, la Cyrielle de jour n'avait peur que d'une chose : que la Cyrielle de nuit soit exposée aux yeux de tous.
Donc forcément, quelqu’un qui connaît cette facette de moi… Elle a un avantage considérable sur moi.
Pour le dire autrement : est-ce qu’à une époque où je pouvais davantage être considérée comme un crossdresser en ligne plutôt que comme une femme trans, j’avais envie qu’on révèle mes occupations nocturnes à mon entourage ?
La réponse est assez évidente.
Mais est-ce la seule chose qui fait que je fréquentais Louise ?
Non : le fait est qu’à cette époque, je me sentais profondément seule.
Aujourd’hui, j’ai une communauté, des gens qui m’aiment pour qui je suis. La fille intelligente mais un peu barrée qui parle d’entrepreneuriat, de philosophie et de mangas dans une même phrase, elle n’existait qu’en embryon à cette époque là.
A l’ENS, parler de mangas relevait d’un tabou existentiel. Je me rappelle encore revenant d’Album Comics (la plus belle boutique de mangas du 5ème) avec mes derniers achats, et tomber sur un camarade qui me dit “ah ouais, c’est vrai que toi tu lis ces trucs de gamins… Faudrait peut-être grandir à un moment”.
Evidemment que je n’avais pas envie de faire partie d’une communauté dans laquelle pour y entrer, il fallait que je me renie.
A côté de ça, j’avais les amis que je m’étais fait en ligne, avec qui j’ai tissé des liens privilégiés pour certains (comme Sia, dont je vous ai déjà parlé). Mais là à l’inverse, c’était souvent avoir des discussions plus profondes qui posait problème, et j’étais souvent trop intello pour que les relations puissent s’approfondir (même si précisément Sia fait exception car c’est quelqu’un de naturellement curieux).
Et maintenant, rajoutez à ça cette surcouche qu’est l’entrepreneuriat. Avec qui pouvais-je avoir des discussions profondes sur tous ces sujets à la fois, sans avoir l’impression de me renier ?
Vous l’aurez deviné : Louise, bien sûr.
Elle avait fait des études de lettres et aspirait à travailler dans l’édition. Sa compagne avait une bibliothèque de mangas absolument faramineuse. A chaque fois que j’allais chez elles, je découvrais de nouvelles choses et refaisais le monde jusqu’à très tard dans la nuit. Vraiment, pour moi, qui me sentais profondément perdue sur Paris, c’était comme une famille d’adoption.
Quand j’ai loupé l’agrégation, Louise m’a soutenu.
Quand j’ai commencé à parler de VoxWave, elle m’a dit qu’elle m’aiderait.
Quand les choses sont devenues plus réelles, spontanément, elle m’a même proposé de m’aider à mettre en forme mon business plan pour m’aider.
Elle avait par ailleurs toujours des idées par rapport à ce qu’on développait et des suggestions, même si avec le recul, beaucoup d’entre elles étaient inadaptées par rapport à la cible qu’on visait.
Mais hey, de 1) c’est facile de dire ça avec le recul. De 2)...
Eh bien, de 2) disons que ce n’était pas quelqu’un à qui c’était facile de dire non. C’était plutôt quelqu’un où si on contestait son idée, très rapidement, les remarques devenaient beaucoup plus insidieuses.
“Si tu ne fais pas ça, c’est que tu ne crois pas en ton propre projet”.
“Je ne comprends pas, ça n’est pas cohérent, tu ne peux pas me dire que tu ne fais pas ça juste pour une histoire d’argent.”
“Tu dis que tu admires Georges Lucas pour sa réussite avec Star Wars, mais lui il était endetté quand il a fait ce projet, pourquoi toi tu n’es pas plus endettée.”
“Ton problème c’est que tu n’es pas courageuse. Tu t’imagines que tu l’es, mais tu ne l’es pas”.
Je ne m’en rendais pas compte à l’époque, mais c’était purement et simplement de l’emprise.
Le problème, c’est que quand vous êtes quelqu’un de vulnérable et déjà affaibli psychologiquement, si quelqu’un vous traite mal la moitié du temps et bien l’autre moitié, c’est déjà mieux que la plupart des gens qui vous traitent mal la plupart du temps.
Et puis n’empêche que c’était la seule personne qui me comprenait.
Bref, tout ça nous amène début 2015, période dans laquelle la relation avec Louise va prendre un tournant beaucoup plus… sinistre.
Janvier 2015 - mai 2016 : Une lente descente aux enfers
Les attentats de 2015 vont profondément affecter Louise, pour tout un ensemble de raisons que je ne vais pas détailler par respect pour elle.
Mais je la vois se durcir et avoir des réactions épidermiques, et devenir de plus en plus sombre. Il devient très difficile de discuter avec elle de certains sujets, et de pouvoir la contredire.
De mon côté à ce moment-là, j’aurais sans doute dû freiner la collaboration. Lui dire que ça n’allait pas être possible.
En fait, j’essaie de le faire.
Mais le problème c’est qu’on s’est installé dans une relation perverse dans laquelle la dynamique est la suivante :
-Je fais part à Louise de mon désarroi sur un sujet ou un problème que je rencontre.
-Elle me propose son aide, voire m’apporte une solution, qui souvent la met au premier plan.
-Je n’ai pas vraiment d’autre choix que de dire oui, surtout que si je refuse, elle me dit quelque chose relevant des remarques vues précédemment.
-Après l’avoir fait, elle me dit qu’elle veut être payée, me demande un prix, et me dit : “il faut que tu aies conscience que là, je pourrais t’attaquer pour travail dissimulé, mais je préfère vous aider à vous développer avant que vous ne puissiez me recruter”.
-En parallèle de ça, elle développe des liens privilégiés avec tous les artistes avec lesquels on travaille, devenant en quelque sorte “la représentante des artistes au sein de VoxWave”.
Ce dernier point va l’amener à adopter une position d’ailleurs assez complexe : d’un côté, elle encourage certains artistes qui apprécient de travailler avec elle, la trouvent très carrée, et apprécient qu’elle soit là pour “cadrer les travaux de l’équipe”. De l’autre, d’autres la trouvent rigide, froide, et l’une des artistes avec qui on travaille dira même le mot “méchante”.
Et c’est vrai qu’elle a des idées assez arrêtées sur ce qu’est un artiste. Un artiste c’est quelqu’un qui a fait des études pour ça. Les autres sont des amateurs.
Pas vraiment la vision que je défends pour ma part… Surtout aujourd’hui.
Mais tout ça, c’est un peu compliqué.
Surtout que de l’extérieur, beaucoup la trouvent charismatique et trouvent qu’on fait un très bon duo. Là où j’ai du mal à trouver comment faire pour que mes associés et moi parlions à l’unisson dans des réunions avec de potentiels partenaires, elle présente bien, et beaucoup me disent que “sans elle, vous vous priveriez d’un atout essentiel”.
Et pourtant…
Ce qui va se passer en juillet 2015 c’est que Louise va délibérément insulter Tai à une réunion où je ne suis pas. Le traiter de connard en pleine réunion. Ce qui fait que Tai va réclamer une réunion pour s’expliquer de son comportement.
Elle va décliner, disant qu’elle ne le fera que si “elle est en position de subordination vis-à-vis de VoxWave, c’est-à-dire salariée de l’entreprise”.
En parallèle de ça… au moment où on se plante pour avoir le prêt de Scientipole Initiative, elle va prendre le dossier en main, et refaire l’intégralité de la présentation pendant l’été avec une des artistes avec lesquelles on travaille.
Elle va même travailler d’elle-même avec notre chargé d’affaires et nous permettre d’avoir à l’issue les 60 000€ de Scientipole Initiative.
Dans les incubateurs successifs où on est, les directeurs l’adorent et la trouvent rayonnante.
Donc c’est logique dès lors qu’elle soit directrice artistique payée 2 500€ net par mois… non ? (Ça fait à peu près 5 000€ en super brut, pour vous donner une idée).
Et puis l’étape d’après pour elle, c’était que je lui donne 25% des parts de la société. Gratuitement.
Toute cette comédie là va durer jusqu’en mai 2016, où je finis par la licencier pour motif économique.
Evidemment, il y a des raisons pour lesquelles je me retrouve à lui laisser autant le champ libre.
Déjà je n’ai à cette époque pas vraiment de discussion constructive sur les questions stratégiques avec mes associés.
En même temps, autant aujourd’hui j’ai appris à me cadrer. Autant à l’époque, je suis une espèce de boule d’énergie très très difficile à canaliser, avec à peu près aucune connaissance technique en entrepreneuriat, donc je me disperse énormément.
Alors qu’avec elle, c’est possible, et précisément… Elle me canalise.
Donc évidemment, je m’isole de mes associés avec qui je discute de moins en moins, et les relations se retrouvent à être de plus en plus tendues, et j’ai l’impression que ce sont des lâcheurs. Donc je suis la première à dire à Louise que sa contribution est essentielle à notre survie, et à lui promettre des choses quand elle me dit qu’elle hésite à partir.
La deuxième, c’est qu’à cette époque, je me dis que mieux vaut avoir des choses qui sortent que rien du tout. Et donc quand elle coordonne la sortie d’un clip, ça finit globalement par sortir… Semble-t-il.
Même si ça se fait rarement sans dommages collatéraux à chaque fois (des artistes qui se font éjecter des projets du jour au lendemain, voire des propos plus que déplacés tenus à certains… Là encore, je ne développerai pas mais on est sur des comportements à base d’incitation au suicide ou ce genre de choses.).
La troisième c’est que quand toutes les personnes extérieures vous disent qu’elle est absolument indispensable à la réussite de la boîte, et que par ailleurs vous doutez énormément de vous-mêmes après avoir traversé toutes ces épreuves… Vous vous dites qu’ils ont sans doute raison.
D’ailleurs, d’autres dans l’équipe la considèrent aussi comme indispensable.
La quatrième c’est que de toute façon quand vous vous faites harceler, vous n’avez plus trop d’esprit logique.
Au final ce sont 50 000€ qui vont partir dans le financement de son salaire et de ses indemnités de licenciement, puisqu’elle reste dans l’entreprise de septembre à mai.
Frustrant non ?
Ces mois vont être compliqués : comme elle a le statut de cadre en forfait heure, elle revendique une liberté dans la façon de faire son travail, de s’organiser comme elle le souhaite, et de suivre son propre agenda.
Typiquement, elle travaille selon ses propres horaires, ce qui ne choque personne puisqu’après tout c’est ce qu’on fait tous (ceci aura des conséquences par la suite).
Ce qui me provoque un déclic c’est mon mentor, qui me dit que c’est une mauvaise idée d’utiliser un financement ponctuel pour financer une charge fixe comme un salaire.
Et puis le fait qu’il me demande ce qu’elle fait vraiment dans la boîte.
Et qu’en me questionnant, je me rends compte qu’à part un clip en octobre, elle n’a fait aucun travail tangible. Elle se plaint à chaque fois que les artistes ne sont pas ponctuels mais “en même temps, tant qu’on ne les a pas recrutés à plein temps, on ne peut pas vraiment se plaindre.”. Tout son comportement consiste à me dire qu’elle ne peut rien faire si je ne trouve pas plus d’argent pour financer la boîte et ses projets, et que donc c’est moi qui la harcèle en ne lui donnant pas les moyens de faire son travail.
Et il me fait aussi prendre conscience qu’en réalité, elle me pompe de l’énergie.
Sans compter qu’il y a aussi autre chose.
Tous ces moments où elle plaisante sur le fait que “je sais que tu aimerais être une femme. Mais si tu l’étais, tu serais vraiment dégueulasse”.
Rien qu’à l’écrire, j’entends encore cette phrase qui résonne en moi.
Quand je décide de la licencier, je décide en même temps de couper les communications avec elle. Parce que je me rends compte qu’à chaque fois que je lui parle, elle arrive à me retourner le cerveau et à me faire changer d’avis à chaque fois.
Et que c’est la seule solution que j’ai trouvée pour arriver à me tirer de là, et à tirer la boîte de là.
La procédure de licenciement se déroule selon les formes : convocation à un entretien préalable, entretien avec un conseiller du salarié, puis préavis. Pendant toute cette période, j’ai l’impression que le cours des choses m’échappe et que mon entreprise ne m’appartient plus. A la base, je veux la licencier pour harcèlement, mais on me fait comprendre qu’elle pourrait aussi en retour indiquer qu’elle est harcelée, et qu’il serait donc plus “apaisé” de la licencier pour motif économique, d’autant que la boîte ne va pas très bien.
Un des épisodes traumatisants que je vais vivre est la visite d’une inspectrice du travail qui va notamment faire un entretien complètement à charge à mon égard. A l’entendre, je harcèle ma salariée depuis de nombreux mois. Cette visite intervient alors que j’ai tout juste envoyé à Louise la convocation à un entretien préalable de licenciement.
A ce moment là, les liens vont se ressouder avec mes associés qui voient la panade dans laquelle on est. D’ailleurs au moment de cette visite, mon associée va me défendre et faire la remarque que tous les comportements de harcèlement qu’on pourrait m’imputer, on pourrait les imputer à Louise. Ce à quoi l’inspectrice du travail dira qu’il n’est pas possible qu’une salariée harcèle son employeur.
Mai 2016 - Novembre 2020 : Bras de fer juridique.
Dès le départ de Louise on va se rendre compte que depuis le début, elle se transférait chaque email vers sa boite perso.
On va se rendre compte aussi que sur les projets qu’elle supervisait, elle s’engageait sur des budgets et des propositions qui n’étaient pas ce sur quoi on s’était accordé initialement.
Et tout ça, ça va avoir des conséquences.
Déjà, à peine un mois ensuite, on va recevoir un courrier dans laquelle Louise enclenche une procédure prud’hommales dans laquelle elle réclame environ 120 000€, pour un ensemble de titres variés : heures supplémentaires, licenciement abusif, absence de visite médicale, droits d’auteur, etc…
A ce moment-là, c’est le pétage de câble.
Ma famille, qui était habituée à me voir stressée, va me voir complètement à la dérive, et nous allons avoir des disputes explosives.
Je suis obligée de chercher une avocate en droit du travail.
La première que je rencontre via l’incubateur m’annonce que c’est sans espoir et que je me suis faite mener par le bout du nez mais que je serais condamnée quoi qu’il arrive à la fin.
Et me fait payer 600€.
La deuxième que je rencontre via mon mentor m’annonce quant à elle que c’est un dossier qui se plaide et qu’on a peut-être de quoi s’en tirer, même si c’est chaud, et m’annonce un montant forfaitaire global.
Je décide de lui faire confiance.
On va suivre l’intégralité de cette procédure de juin 2016 à juillet 2020 :
-L’audience de conciliation, où on propose de faire une conciliation (qui est bien évidemment refusée).
-L’audience en première instance, qui donne lieu à un jugement en notre faveur au premier trimestre 2017. Louise est intégralement déboutée de ses demandes. On pense qu’on a gagné Pas de bol, Louise fait appel. A ce moment là, l’affaire se dédouble : une part de l’affaire tourne autour des droits d’auteur, une autre autour de tout le reste.
-Après ça, l’affaire devient un serpent de mer qui ne donnera lieu à un jugement qu’en juin 2020, cette fois en notre défaveur. On est condamné à lui verser environ 30 000€, qu’on n’a pas. C’est parti pour la liquidation.
Dans toute cette séquence, le problème c’est cette épée de Damoclès que devient toute cette affaire qui pend au-dessus de nos têtes, et qui fait qu’on ne sait pas si ce qu’on fait a encore du sens ou non.
Sans compter qu’il y a les dossiers interminables que Louise envoie, plus d’une centaine de pages, avec des témoignages pour un certain nombre diffamatoires :
-Une autre personne de l’équipe qui va témoigner en sa faveur pour indiquer qu’on ne lui laissait pas l’accès à nos bureaux. Sauf que cette personne vivait à l’époque à Montpellier…
-Un ami à elle que j’avais rencontré lors d’une convention qui va indiquer que je suis une “personnalité morose” qui “conduit de toute évidence la société à sa perte”.
-Le pire… Sa compagne, qui va indiquer que comparé aux attentats de 2015, j’ai eu un impact sur Louise qui lui a laissé de plus graves séquelles. Donc oui, Cyrielle pire que Daech.
Petit aparté d’ailleurs : malgré tout ces éléments, la condamnation ne portera que sur trois choses : 1) Les heures supplémentaires : elle utilisera le fait d’être en forfait heures pour dire qu’elle travaillait de 8H du matin à 4H du matin en se basant sur des échanges sur Messenger. Sachant qu’on était ami et qu’en réalité on parlait de séries et autres… Mais pour un magistrat professionnel, ce genre de frontière poreuse n’existe pas. Si un salarié parle à son employeur par Messenger, c’est du travail.
Soit.
2) La réalité du licenciement économique.
Soit.
3) Le fait de ne pas lui avoir donné un PC et qu’elle ait dû utiliser le sien.
Soit.
Par contre, tout le reste, comme par exemple ses revendications sur les droits d’auteur pour ce qu’elle avait fait dans la société (et elle tirait toute sa légitimité du fait de “s’y connaître en droit d’auteur”), l’organisation de sa visite médicale (que j’avais fait, mais tardivement), etc… la justice l’a intégralement déboutée. Ca m’a énormément soulagée de voir ça car ça m’a bien montré qu’en réalité… Elle n’était pas du tout l’experte qu’elle avait prétendu être avec moi tout du long.
Et que de mon côté, j’étais beaucoup moins nulle dans mes fonctions qu’elle ne l’affirmait.
Donc au final… Sur une revendication de 120 000€, gagner 30 000€, c’est gagner au quart, et on a gagné au trois quarts. Si on enlève qu’on a dû liquider ensuite, d’un strict point de vue judiciaire, ce n’est pas ce qu’on appelle une défaite.
Vous vous dites peut-être que tout ça a du être dur à porter.
Mais attendez, ça n’est pas fini :
Vous vous rappelez des promesses de Louise auprès de certains artistes ?
Tout ça va faire que certains vont, à intervalles réguliers, faire des publications montrant des échanges d’email avec elles (tronqués) montrant que nous n’avons pas exécutés nos promesses.
Et là, va te défendre devant un tribunal public pour lequel tu es déjà coupable.
Clairement, c’est impossible.
Ca aussi ça va être un serpent de mer qui va rejaillir tous les ans à intervalles réguliers, comme une sorte de harcèlement.
Pour moi, tout ça va être épuisant. Et je me rends compte que je suis terrifiée d’une chose dont je vous parlais au tout début : que Louise révèle “qui est la Cyrielle de nuit”.
Et c’est ça qui va m’amener à ce qui, ultimement, va me faire démarrer mon parcours de transition en 2018, et à devenir la fille que vous connaissez aujourd’hui.
Je vous garde l’épisode de la liquidation pour une prochaine fois, car j’aurais là aussi plein de choses à raconter.
Pour vous dire la vérité, c’est un épisode que je pense on a très bien géré et qui m’aura permis aussi de trouver une forme de réconciliation avec mes autres associés, et qui fait que maintenant nous sommes en de très bons termes.
Cet épisode là est clairement un épisode qui se termine en queue de poisson : d’un côté je perds ma boîte… Et de l’autre Louise remporte sa victoire en appel, mais à quel prix ? Quatre ans de procédure, c’est long, et au final pour une somme relativement dérisoire.
Avec le recul, je pense que Louise savait très bien ce qu’elle faisait, depuis le début.
Je pense que son projet n’était pas de développer une boîte, mais plutôt qu’elle a commencé dès le premier jour à monter son prud’hommes en se disant qu’elle aurait sa revanche sur quelqu’un qui avait eu le parcours qu’elle aurait aimé avoir (elle me parlait souvent du fait qu’elle elle avait “décidé de rater Normale Sup’”, mais ça sonnait faux. Mais pour moi qui avait sincèrement “décidé de rater l’agrég’”, ça me semblait crédible).
Je pense qu’au final elle était dans une relation duale avec moi de fascination et de répulsion, et qu’au final c’est sa répulsion qui a pris le dessus et qu’elle a tenté de me détruire.
Au fond, ce n’était pas VoxWave son problème, c’était moi. Et tous les dommages collatéraux, à savoir le fait que mes associés ont également perdu leur boîte, les artistes qui ont vu des projets tomber à l’eau, les fans qui n’ont pas eu de nouvelles d’ALYS parfois pendant des mois. Tout ça, elle s’en fichait éperdûment.
Ce qu’elle voulait, au fond, c’était une revanche sur la vie, et c’est moi qui matérialisais ça.
On est tous l’antagoniste dans la vie de quelqu’un, et je pense que j’ai été son antagoniste.
C’est assez triste et cynique comme revanche. Mais c’est probablement une personne triste et cynique, dans le fond.
Et c’est là où on arrive au final dans les leçons que je tire de tout ça.
-La première c’est que tout ça a amélioré ma capacité à gérer les relations humaines et à écouter mon intuition. Je suis devenue plutôt bonne en droit du travail. Je vous épargne tous les aspects techniques et j’ai abrégé les procédures (je ne suis pas juriste), mais globalement j’ai compris plein de choses à comment tout ça marche et à comment marche le droit en général. Et aussi au fait qu’avoir un bon avocat c’est décisif : certes, on a perdu en appel. Mais on ne s’en est pas si mal sorti. En vrai, ça aurait pu être jouable, si on avait eu une boîte en meilleure santé financière.
J’ai aussi appris des choses simples comme le fait qu’il vaut mieux éviter de communiquer à toute heure du jour et de la nuit avec ses subordonnés, ou que le forfait heure ou le forfait jour ne signifie pas qu’on sort du cadre des 35H. Et ça… ça m’a été très utile par la suite, lorsqu’il s’est agi de trouver ma revanche sur ce que Louise m’avait fait vivre. Sans doute pour ça d’ailleurs que je suis assez apaisée pour vous parler de tout ça.
-Et ça m’amène à une deuxième leçon qui est la plus importante : assumer qui on est.
Une des premières choses que je dis à mes clients quand je commence à travailler avec eux, c’est que même s’ils ont une personne très compétente dans leur équipe, IL N’Y A PAS de personne irremplaçable à part eux. Sans cet équipier, l’entreprise serait différente. Sans eux aux commandes… l’entreprise n’existerait pas. D’ailleurs, tout le but du jeu c’est de faire en sorte que leur entreprise nécessite à la fin un minimum d’intervention de leur part.
Cette conviction là, elle est centrale chez moi aujourd’hui et c’est quelque chose que je tire de mon expérience : c’est parce que j’étais déprimée, terrifiée, que je me sentais mal, qu’ultimement, on a dû liquider VoxWave. La santé mentale du dirigeant et sa confiance en lui sont les premières choses qui me préoccupent.
Si j’avais été plus à l’aise avec moi-même, le match aurait été très différent.
D’ailleurs aujourd’hui, c’est très dur de me placer sous emprise : tous ceux qui ont essayé s’y sont cassés les dents, car je les repousse avec violence hors de ma vie.
Je ne cache plus qui je suis aujourd’hui. Je ne cache plus mes cicatrices. Je ne cache plus non plus qu’au fond je suis cette blonde délurée qui communique avec sensibilité et humour. Parce que c’est quand je la cachais que j’étais la plus en danger.
-La troisième, c’est que précisément, ça a fait émerger ma mission. Dans tout ce process là, je n’ai pas du tout eu l’accompagnement dont j’aurais eu besoin. Quand ce n’était pas purement et simplement du sabotage. Un salarié de l’incubateur où on était a témoigné contre moi aux prud’hommes, par exemple. Et je passe contre le fait que ce même incubateur invite mon concurrent à se produire à un festival et que je reste sur le carreau.
Et je me suis rendue compte que cette partie là était absolument indispensable : quelqu’un vers qui me tourner en cas de coup dur, qui pouvait me comprendre, m’assister et m’éclairer dans tous ces moments là.
-La quatrième, c’est qu’en réalité c’est aussi au coeur de la tourmente que j’ai trouvé mes vrais alliés. Par exemple, chacun des messages de cette série a été relu par Sia qui m’a apporté son retour critique, parce que Sia m’a connu à cette époque. Et même si par moment ses retours m’ont fait mal par rapport à la personne que j’étais à l’époque, j’ai su les accepter pour écrire une série encore meilleure. Cassdédi Sia ici c’est la famille.
Si je prends un peu de hauteur, c’est évidemment ça qui a contribué à faire émerger ma mission et la forme actuelle de mon travail.
-J’ai vécu tout ça comme une trahison : donc maintenant je veux être dans un rapport d’absolue confiance avec mes clients et avec mon écosystème en général. Je ne veux plus que des relations de collaboration fondées sur un enthousiasme sincère et réciproque des deux côtés.
-En réalité, les signes avant-coureur de la catastrophe avec Louise, je les ai eu dès les débuts de la collaboration. Le problème c’est que je refusais de les voir et de les écouter. Oui, je manquais de recul. Mais si j’avais eu quelqu’un comme moi aujourd’hui, qui m’aurait dit clairement : “ça pue, si j’étais toi je n’irais pas, cette personne là n’est pas bonne pour toi”... J’aurais fait autrement. Je ne dis pas que VoxWave aurait été un énorme succès. Mais on se serait planté différemment.
-Et en même temps, c’est parce que je me suis plantée aussi fort et de façon aussi grandiose que je suis qui je suis aujourd’hui, paradoxal non ?
Tout ça est finalement porteur d’espoir à mes yeux, car il reste tellement de possibilités à explorer ! D’ailleurs je ne l’ai pas développé mais c’est aussi ça qui m’a poussée à me lancer comme artiste, presque comme une revanche sur les dévalorisations constantes de Louise. C’est ça qui m’a fait publier par la suite des histoires de fiction comme Une Flamme dans la Nuit, dont vous trouverez ici la chanson titre :
Voilà qui clôt donc cette rétrospective consacrée à VoxWave.
J’espère que ça vous aura aidé à comprendre que derrière cette aventure entrepreneuriale, voir la perte uniquement monétaire, ce serait se priver d’une histoire bien plus riche, subtile et complexe, dans laquelle j’ai acquis bon nombre des postures et réflexes qui fondent qui je suis aujourd’hui.
C’est là où, à l’issue j’ai compris que la réponse à l’énigme de l’acier, c’était qu’elle se trouvait dans l’alliance de la lame forgée dans la douleur, et de la force mentale de la main qui la manie.
J’ai tellement d’autres histoires à vous raconter, mais j’en ai aussi tellement d’autres à écrire.
J’aurais sans doute des choses à vous raconter dans mon parcours de guérison, mais ça ce sera pour une autre série sans doute. Ou peut-être par de la fiction ?
En attendant, la vie continue, et qu’est-ce que la vie est belle.
Merci de votre lecture, j’espère que vous aurez pris plaisir à lire cette série et que ça vous aura appris une chose ou deux. Je tiens aussi à vous rappeler qu’ALYS est toujours bel et bien en vie malgré ce qu’on a tenté de lui faire subir, et que vous pouvez retrouver sa dernière chanson, publiée en mars dernier pour ses dix ans, juste ici :
Elle fait tellement sens pour moi, et je pense que vous comprenez pourquoi.
Allez, @+ dans l’bus !
Cyrielle